Le Goût des Autres

Rares sont les acteurs qui mangent bien face caméra

Propos recueillis à table par Guillaume Mollaret | Photographie Jean-Claude Azria

Michel Hazanavicius

Le réalisateur de The Artist, film muet oscarisé et récompensé par une quarantaine de prix internationaux était, en mars, l’invité du Festival Cinéma d’Alès – Itinérances, l’occasion pour celui qui est également l’auteur des adaptations d’OSS 117, de venir en Cévennes où il dispose d’un pied à terre. Rendez-vous est pris au Domaine de la Privadière à la table de Julien Lavandet

 

 

L’une des répliques culte dans OSS 117 est une question. “Comment est votre blanquette ?” D’où vient cette inspiration ?
Il y a des mots rigolos. Et “blanquette”, c’est un mot marrant. Après, si on veut bien y regarder de plus près, OSS est un symbole de la France… Et la France, c’est la bouffe ! (Il se reprend) Enfin, pardon… J’emploie ce mot, mais ce n’est pas bien. Force est quand même de constater que quand on part défendre un film à l’étranger, quel que soit le pays, et que l’on veut vous faire plaisir, cela passe par le restaurant. On vous offre à manger ou à boire mais jamais un disque ou un livre.

Saint-Jacques sur une purée de citron confit, risotto de racine et écume de langoustine

Comme ce soir ?
Comme ce soir ! Et je ne m’en plains pas. Le plaisir, en France, passe par la bouche.

“Rares sont les acteurs qui mangent bien au cinéma. Lino Ventura mangeait extrêmement bien en plateau”

OSS 117 s’est exporté. La blague de la blanquette fonctionne-t-elle partout ?
Pas de la même manière. Les subtilités de langage et les mots un peu désuets ne provoquent pas les mêmes effets comiques à l’étranger. Aux Etats-Unis, ce sont d’abord les effets visuels ou certaines références au cinéma qui provoquent un rire qui n’est pas le même que chez nous. Là-bas, c’est très sonore alors qu’en France on sourit davantage qu’on ne rit aux éclats. Les dynamiques de salles sont différentes.

Donc pour qu’un film français marche aux Etats-Unis, il faut qu’il soit muet ?
(Rires) C’est très clairement ce qu’il y a de mieux ! Et si l’action peut se dérouler aux Etats-Unis avec quelques acteurs américains alors là… Plus sérieusement, puisque vous faites référence à The Artist, il n’y a que des Français pour être assez tarés pour mettre de l’argent dans un film muet… En fait, c’est l’image que nous avons renvoyé aux Américains de leur industrie qui les a touchés.

Asperges vertes, pesto à l’ail des ours, crème de parmesan, oeuf poché, jambon cru d’Ardèche Magalita

Une salle de restaurant est-elle cinématographique ?
Sans filtre, Palme d’Or à Cannes en 2022, propose plusieurs scènes de restaurant absolument démentes. La première est une scène d’addition. Le sujet, c’est de savoir qui de l’homme ou de la femme doit payer. Dans la scène, on croit comprendre que la femme a dit qu’elle inviterait l’homme, mais au moment de payer, elle sort son téléphone… Donc il paye. Il y a un vrai malaise qui se règle dans la discussion à la sortie du restaurant. C’est long et c’est savoureux.

Aurait-elle dû payer ?
Bien sûr ! Si elle l’a dit. Je ne vois pas où est le problème.

Bar de ligne, jus de cresson, huître Gillardeau pochée dans sa coquille poireaux caramélisés, tuile de riz soufflé au sésame noir, main de Bouddha

Quelles sont les difficultés d’un tournage dans un restaurant ?
Ce qui est compliqué, c’est d’avoir affaire à des gens assis. Ce ne sont donc que des têtes qui parlent. Pour que cela fonctionne, il faut avoir une situation très forte comme celle que je viens d’évoquer. L’autre difficulté, c’est de demander à des acteurs de manger 16, 18, 20 fois (à cause des changements d’angle et des reprises de scènes, ndlr) !

Il faut un gros appétit !
Rares sont les acteurs qui mangent bien au cinéma. Lino Ventura mangeait extrêmement bien en plateau. Dans la série Les Soprano, James Gandolfini (héros de la série, ndlr) est un vrai bon mangeur devant la caméra. Si je cite peu de noms, c’est que ce n’est pas si simple.

Veau de Ségala, asperge, noisettes, morilles, beurre blanc, et pommes de terre bouchon.

Qu’est-ce qu’un acteur qui mange bien au cinéma ?
C’est quelqu’un qui donne l’impression qu’il a faim et qui mange vraiment ! Faites attention dans un film au nombre de scènes où l’acteur tient sa fourchette en l’air (Il mime)… Comment s’en sort-on avec un acteur qui ne sait pas manger face caméra ? Il y a des conventions, des usages, un hiatus que le spectateur accepte. Mais il faut bien comprendre que pour le tournage d’un dîner auquel participent deux acteurs, il faut tourner cinq plans différents avec 5 ou 6 prises par plan. On monte vite à 30 prises. Autant vous dire que quand un acteur attaque avec vigueur son assiette de pâtes à la première prise, je dois aussi le calmer pour lui dire d’en garder un peu sous la pédale. Peut-être que si c’est Depardieu, il n’y a pas de problème… mais si c’est Pierre Niney, je pense que vous êtes mort ! (Rires). En vérité, souvent les acteurs recrachent entre deux prises

Prédessert : Autour de la poire et eau de vie

“Claude Sautet a toujours réussi de belles scènes de bar et de restaurant. Il y a quelque chose chez lui de très français à cet égard”

Avez-vous en tête un film particulièrement réussi avec le monde de la restauration pour toile de fond ?

Claude Sautet a toujours réussi de belles scènes de bar et de restaurant. Il y a quelque chose chez lui de très français à cet égard. Chez Sautet, c’est que les gens mangent et travaillent. C’est rare. Garçon ! est à ce titre un vrai bon film de restaurant avec une vraie bonne ambiance parisienne. Après, ce n’est pas du cinéma mais il y a une BD que j’ai lue qui raconte très bien ce qui se joue à table.

Laquelle ?
Le Gourmet Solitaire de Jirô Taniguchi (éditions Casterman, ndlr). Le scénario vous prend totalement d’émotion. Ce n’est que l’histoire d’un homme qui va manger mais petit à petit, cela devient extrêmement émouvant. Le récit est prenant et d’une poésie dingue. Les moments passés au restaurant par ce personnage sont une sorte de plongée intérieure. Il se met littéralement en errance. Une sophistication se dégage et cela devient très très beau. C’est une oeuvre amoureuse de la nourriture. On est là à un niveau de subtilité que seuls savent atteindre les Japonais.

Dessert : Tartelette au chocolat, caramel beurre salé, biscuit madeleine, ganache monté eau chocolat au lait, pralinée de noix macadamia et sorbet cacao

Pour revenir au cinéma, sur quel projet travaillez-vous en ce moment ?
Il s’agit d’un film d’animation adapté d’un livre de Jean-Claude Grumberg La plus précieuse des marchandises
– Un conte. Attention, ce n’est ni pour les enfants, ni une comédie. L’histoire se passe non loin des camps de concentration avec la déportation en toile de fond. C’est Jean-Louis Trintignant (décédé en juin 2022, ndlr) qui assure la voix du narrateur. Je l’ai rencontré à Collias (où vivait Trintignant, ndlr) et le projet lui a plu. Il était très chaleureux. Nous avons enregistré sa voix dans un studio du côté d’Avignon. C’est peut-être la dernière chose qu’il ait enregistrée… C’était une belle rencontre.

Menu de Julien (125 euros)
Accord mets et vins, 5 verres (69 euros)

Maison Lavandet
Domaine de la Privadière
Ouvert 7/7 midi et soir
24 Rue de la Privadière à Garrigues-Sainte-Eulalie
Tel : 04 66 75 69 59

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