Damien Sanchez* et Frédéric Rame cultivent le goût de l’apprentissage
Par Guillaume Mollaret | Photographie Jean-Claude Azria
Dans la cuisine du Skab, trois générations se croisent autour d’un même mets : la truite. Le chef Damien Sanchez*, l’enseignant et chef à domicile Frédéric Rame et son élève Gaspard Leibig partagent la même conviction : en cuisine, on apprend autant les gestes que l’attitude.
Sous les lumières argentées de la cuisine de Damien Sanchez, s’élève une fine fumée émanant d’une truite venue du pied du Mont Aigoual, plus précisément de la vallée du Bréau. Autour de ce poisson, trois parcours, trois histoires se rejoignent au confluent de la transmission ; Damien Sanchez, le chef étoilé, Frédéric Rame, l’enseignant passionné, et son élève Gaspard Leibig, 16 ans, étudiant en deuxième année de Bac Pro cuisine au lycée professionnel Marie Curie de Saint-Jean du Gard. Autour des variations de truite imaginées par ses aînés, Gaspard apprend bien plus qu’une recette.
«Descends ta main quand tu déposes, sinon la sauce éclabousse !», lui lance Frédéric Rame, l’œil bienveillant. Gaspard, concentré, rectifie le mouvement avant de recommencer, puis de poser des fleurs sur les points liquides les moins appliqués. Devant la truite, cuite à basse température et nappée d’une sauce au cresson et à la myrtille, l’élève se met en quête de précision. «À l’école, on nous enseigne la technique, les recettes de base… Mais le comportement, je l’apprends surtout en terrain de stage», confie le jeune homme. «à la Maison Chenet ou chez Jérôme Nutile, qui m’ont accueilli, on est rapidement dans le vif du sujet.»
Le goût de transmettre
Pour Frédéric Rame, 60 ans, chaque séance de cuisine est une scène d’apprentissage. Après trois CAP pâtissier, cuisinier, et serveur à Avignon, il rejoint les cuisines de l’élysée à l’occasion de son service militaire. Sa vocation d’enseignant, il l’a découverte presque par hasard : «En 2000, j’ai travaillé à la prison de Mende, j’y ai formé des prisonniers à la cuisine… Moi qui n’aimais pas l’école, j’ai compris que je pouvais malgré tout transmettre.»
Et depuis 25 ans, le chef, qui officie également à domicile, forme de jeunes cuisiniers avec conviction : «Mon objectif est qu’ils trouvent leur voie. J’ai trois ans pour leur faire découvrir la brasserie, la gastronomie ou toute autre forme de cuisine qui leur permettra au final d’être heureux.» Car à travailler soir et week-end… autant être heureux au travail !
Pour lui-même d’ailleurs, apprendre reste un leitmotiv. Entre salons professionnels et Instagram, le chef demeure en recherche continue de nouvelles inspirations pour rester à la page et aussi mieux connaître les aspirations des jeunes générations qu’il accueille en salle de classe.
“Ce métier on peut le faire partout dans le monde : à l’Élysée comme en prison.”
La rigueur avant tout
Face à lui, Damien Sanchez, 44 ans, partage cette même exigence. Formé à l’école hôtelière Voltaire de Nîmes, il se souvient encore de M. Genet, son professeur : «Il fumait la pipe en cuisine et la tapait sur le fourneau quand il n’était pas content !» Adolescent, il participe au concours du Meilleur Apprenti de France : «M. Genet venait m’extirper du cours de français ou de maths pour que je prépare cette compétition ! C’était une autre époque où on nous imposait le costume-cravate à l’école les semaines de TP, mais aussi le respect et la propreté.»
Installé à son compte au Skab depuis 2014, le chef perpétue cette discipline : «Tout part de l’école. On ne peut pas transmettre le savoir-faire sans le savoir-être», martèle-t-il.
En cette fin d’année 2025, Damien Sanchez accueille quatre apprentis – en cuisine, en pâtisserie et en salle. «Le milieu n’est pas simple. Il faut se faire une place. Quand le stagiaire la prend, tout se passe bien pour lui.»
Contrairement au chef Rame, le Nîmois a fait le choix d’une préparation froide de sa truite qu’il assemble avec un sorbet de butternut réhaussé de yuzu. «J’aime les cuisines nettes, qui vont droit au but pour que l’ingrédient passe avant le cuisinier.»
“L'appétit que l'on montre en début de matinée, c'est ce qui conditionne notre attitude pendant le service.”
Le fil de la transmission
À ses côtés, Gaspard observe et retient : «L’organisation, le dressage, les techniques… je veux voir le plus de choses possibles pour apprendre le plus possible. Chaque instant auprès d’un chef est précieux.» Chez Jérôme Nutile, il a découvert la rigueur ; chez Maxime Chenet, l’énergie : «Il faut arriver en forme, toujours. L’appétit que l’on montre en début de matinée, c’est ce qui conditionne notre attitude pendant le service», théorise-t-il.
Pour Damien Sanchez comme pour Frédéric Rame, cette motivation est la clé. «La fierté, c’est quand un ancien m’envoie un faire-part de mariage ou de naissance», sourit Damien Sanchez en ajoutant que son premier apprenti à Nîmes est aujourd’hui chef pâtissier dans un restaurant étoilé de Haute-Savoie, et qu’une autre est actuellement sous-chef à la Villa Madie, restaurant triplement étoilé de Cassis, près de Marseille.
Et Frédéric Rame d’ajouter : « Ce métier demande rigueur et abnégation, mais on peut le faire partout dans le monde : à l’Élysée comme en prison. L’important, c’est d’être heureux derrière les fourneaux. » •
Skab
Chef Damien Sanchez*
7 rue de la République, Nîmes
Ouvert du mercredi au samedi midi et soir,
le mardi uniquement le soir.
Frédéric Rame
Chef Frédéric Rame
Chef à domicile
Partager