Le Goût des Autres

Jean-Charles Valladont : « Allier passion pour la chasse et mon job de tireur à l’arc au quotidien, ça n’a pas de prix »

Restaurant Le Braconnier, à Garons

Propos recueillis à table par Guillaume Mollaret | Photographie Jean-Claude Azria

Le double vice-champion olympique de tir à l’arc et sociétaire de l’Arc Club de Nîmes est également chasseur. Quel autre restaurateur qu’Yves Ruffinatto pouvait le recevoir dans son antre, le restaurant Le Braconnier, à Garons ? 

Gard aux Chefs : Quel animal chasse-t-on à l’arc ? 

Jean-Charles Valladont : Toute espèce chassable est chassable à l’arc en fonction des réglementations. Je chasse essentiellement des sangliers, des cervidés, des chevreuils… donc les grands animaux. Pour chasser les oiseaux, il faut de la dextérité et de l’entraînement. 

Un double médaillé olympique peut-il vraiment manquer d’entraînement et dextérité dans sa propre discipline ? 

C’est une vraie question. La discipline olympique se pratique avec un arc classique. Je tire 400 à 600 flèches par jour. C’est bien une des familles d’arc que l’on peut utiliser pour la chasse mais en m’entraînant à chasser avec cette arme, j’ai peur de déformer mon tir olympique, tant les qualités requises sont proches… mais différentes. Je chasse donc les oiseaux au fusil. Pour la chasse au grand gibier, j’utilise un arc à poulies. C’est un arc qui démultiplie la force. Il s’agit donc d’une autre discipline. On ne tient pas la corde avec les doigts mais avec un décocheur qui permet de lâcher la corde mécaniquement. C’est beaucoup plus précis, beaucoup plus puissant. Et je n’ai pas besoin d’entraînement spécifique avec cette arme-là… sinon de la patience ! La chasse à l’arc permet une certaine éthique :
quand on décoche une flèche, on prélève l’animal (on le tue, ndlr). On ne le blesse pas. Aujourd’hui il est plus facile d’avoir de la réussite avec l’arc à poulies qu’avec l’arc classique. Quand ma carrière sera terminée, en revanche, je m’entraînerai pour chasser à l’arc traditionnel, avec la même éthique. 

Une flèche suffit dites-vous. Instinctivement, on se dit pourtant qu’une flèche est moins efficiente qu’une balle…

 Les chiffres sont pourtant têtus. Sept balles sont tirées par animal prélevé, contre moins de deux flèches seulement. Bien sûr, comme avec les armes à feu, quelques individus ne respectent pas l’éthique de la chasse et détériorent l’image de notre pratique. Mais généralement, la chasse à l’arc se pratique différemment des chasses plus conventionnelles. On se positionne sur des lieux de passage stratégiques, en installant un siège dans les arbres. On devient invisible pour l’animal, ce qui permet de réaliser des tirs très précis. Le plus gros sanglier que j’ai fait à l’arc pesait 150 kilos. Il a été arrêté par une seule flèche. À l’arc, les gibiers sont en général tirés à moins de 10 mètres. 

Comment consommez-vous votre gibier ? 

Premièrement, en ce moment, je me régale ! Il faut dire que j’adore cuisiner moi-même mon gibier. Les bécasses, je peux en faire des rillettes ou de la terrine… ou bien organiser une soirée rôtissoire à la broche ou au brasero entre amis. J’essaie de tout transformer. Je fais parfois des nuggets de faisan… C’est autre chose que la restauration rapide ! Je fais également des steaks hachés de sanglier mélangés avec une préparation au fromage de chèvre et au miel, ou à la moutarde, sauce soja et gingembre… 

Grillés à la plancha et servis avec un peu de pain brioché, ça surprend toujours !
Je prépare aussi des carbonades flamandes de sanglier, du hachis parmentier de cervidé… Chaque année, je prépare également 50 kilos de sauce bolognaise à base de sanglier et de tomates du jardin. J’adore les lasagnes. 

“On devient invisible pour l'animal, ce qui permet de réaliser des tirs très précis.”

Quelle est votre plus grande passion : la chasse ou bien le tir à l’arc ? 

Je ne choisirais pas entre les deux ! J’ai la chance que mon côté épicurien rural — ce qui comprend les abeilles, le jardin, la pêche, la chasse — soit en lien avec le tir à l’arc. Je précise, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, qu’il est interdit de pêcher à l’arc en eau libre en France. Mais le fait de pouvoir allier ma passion pour la chasse et mon job de tireur à l’arc au quotidien, ça n’a pas de prix. 

Que pensez-vous de la démarche du chef Ruffinatto, qui propose à la carte le produit de sa chasse ? 

Cuisiner ma chasse pour mes amis, c’est une fierté. Et j’imagine que c’est la même chose pour lui. C’est une cuisine qui transpire la générosité et la passion. À Paris, j’avais un ami, le chef Jean-François Larpin, qui officiait à La Petite Cour, rue Mabillon. Il était chasseur à l’arc et m’a fait découvrir des choses extraordinaires, comme le carpaccio de colvert… Il est aujourd’hui décédé, et en ce moment dans ce restaurant, je pense à lui. 

À 36 ans, vous avez conscience d’être en décalage total avec votre génération… 

Oui, et je l’assume totalement ! Les réseaux sociaux, de façon générale, font vivre l’image et l’instant, mais il n’y a rien de concret. Il y a dix ans, j’ai rencontré le vigneron Patrick Chabrier (membre de Gard aux Chefs, ndlr) lors d’une journée de chasse avec l’ASPAC (Association des Sportifs pratiquant l’Action Cynégétique). Depuis ce jour, Patrick m’accompagne dans mon projet sportif. C’est un partenariat concret et une vraie relation. Patrick, cela lui rapporte zéro ! La famille Herbelin, qui produit des montres haut de gamme du même nom, me suit également parce que je suis, comme elle, originaire de Franche-Comté. Chaque contact — qui est essentiel pour que je mène ma carrière — s’est fait par une rencontre et un coup de cœur désintéressé de part et d’autre. 

 

Menu servi
Pâté de tête, terrine de grive, confiture d’oignon
Civet de daim, polenta aux cèpes.

Vin rouge
Domaine de la Mordorée. La Remise. AOP Lirac. Historiquement, toutes les cuvées de la famille Delorme sont liées à la bécasse. 
L’ensemble du gibier cuisiné par Yves Ruffinatto a été chassé par lui. Le maître cuisinier bénéficie pour cela d’une autorisation spéciale émanant des services vétérinaires. 

Le Braconnier
Restaurant situé à Garons
Chef Yves Ruffinatto

 

“Je fais parfois des nuggets de faisan... C'est autre chose que la restauration rapide !”

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