Benet – Vergne : Le goût de l’exemplarité
par Agathe Beaudouin | Photographie Jean-Claude Azria
L’un est fromager-affi neur, star des Halles de Nîmes, l’autre se distingue par des buff ets bluff ants. Vincent Vergne et Michel Benet sont des as dans leur domaine. Et s’ils aiment travailler ensemble, c’est certainement parce que, pour tracer leur chemin, tous deux ont dû faire preuve de persévérance et d’humilité.
Plus que leur ponctualité, trait de caractère commun aux deux protagonistes du jour, leur joyeuse retrouvaille, ce jour-là, en dit long sur la complicité qui les unit. Spontanés et naturels, les deux hommes se revoient avec un plaisir non dissimulé. Vincent Vergne, le fromager coqueluche des Halles de Nîmes depuis son titre de meilleur ouvrier de France (2019), et Michel Benet, traiteur hors pair à l’humilité XXL qui sévit à Avignon, vivent sur la même planète gourmande.
Une génération les sépare, mais ils cultivent la même approche de leur métier. Le fil rouge ? Une exigence décomplexée, dont eux seuls maîtrisent la recette. Tout commence par leur regard, franc et pétillant, puis leur sourire, quasi omniprésent, et enfin, une facilité à profiter de l’instant présent assez singulière pour deux hommes pressés. Oubliées la montre et les impondérables tâches de leur journée, quand Michel Benet et Vincent Vergne se réunissent, place à l’harmonie, humaine et culinaire.
Michel Benet, 73 ans, et Vincent Vergne, 44 ans, tous les deux à la tête de leur entreprise, sont des enfants de l’univers gastronomique. Pour le chef fondateur de La Vallergue (élu deuxième meilleur traiteur de France en 2018), fils de restaurateur, la cuisine est une pièce essentielle du puzzle de sa vie. Une valeur qui a conduit son parcours de jeune apprenti dans les cuisines des restaurants étoilés, des Relais et Châteaux, et où il s’est forgé sa signature culinaire alliant exigence et élégance. De son côté, le fromager meilleur ouvrier de France se souvient avec admiration de ces étés où, gamin, il allait distribuer le beurre et la crème de la fromagerie familiale à Gérard Moyne- Bressand, chocolatier nîmois alors auréolé du prestigieux col bleu blanc rouge. Le Nîmois décrit aussi ces instants privilégiés où il partait avec son père affiner les fromages. « Des moments magiques où on pouvait tout se dire dans l’atmosphère feutrée de la cave. » Il aurait pu se contenter de poursuivre l’histoire familiale dans la fromagerie parentale des Halles de Nîmes qui, en 2012, fut classée parmi les dix meilleures fromageries de France par le guide Gault & Millau. Mais Vincent, diplômé de l’école de commerce de Toulon, tenait à écrire son histoire, en ouvrant d’abord une enseigne (Vergne Gourmet) sur le boulevard Pompidou et surtout, en remportant le Graal, un sacre de meilleur ouvrier de France qu’il porte jusque sur ses baskets dont les lacets sont tricolores.
Michel Benet a, lui, « tout construit » et entamé un virage à 90 degrés lorsqu’au début des années 1980, il ouvre un magasin de plats à emporter, à Villeneuve-lès-Avignon, qui se métamorphosera assez logiquement en laboratoire haut de gamme pour devenir traiteur. Un travail de titan qu’il décrit avec sa légendaire modestie : « La base, il a fallu la mettre en place », une façon de dire qu’il a dû à la fois gérer « les fournisseurs, les cuisines, la comptabilité, les réceptions… ». « Michel, c’est la force tranquille », s’amuse Vincent Vergne, qui le surnomme affectueusement Trec, pour « tonique, rapide, efficace, concis. » L’intéressé en rougirait presque ! Son copain en remet une couche : « Il est impressionnant. Avec lui, tout roule. Michel est capable de monter 150 assiettes en toute simplicité, sans stress. » « C’est juste une question d’expérience », répond, tel un vieux sage, celui qui n’est pas très à l’aise avec les compliments.
“Il est impressionnant. Avec lui, tout roule.”
À la tête de leurs brigades respectives, l’un comme l’autre ont appris à faire les bons gestes. « Avoir une présence qui domine et qui en même rassure les équipes », détaille le septuagénaire. Pas si simple dans les faits. Michel Benet le concède : « Il faut savoir s’imposer et parfois savoir lâcher avec souplesse. » Une subtile maîtrise de l’art de diriger que Vincent Vergne partage. « Pour la finale du MOF en 2015, un coach m’a accompagné. Les gestes que je faisais, vite et machinalement, il m’a appris à les faire beaucoup plus lentement, avec plus de sérénité. Je me suis aperçu que travailler de manière apaisée avait un effet sur le jury. Un travail fluide, c’est beau et agréable à regarder. Depuis, cette sérénité au travail est devenue un leitmotiv ! » Et cette posture est devenue le trait d’union entre les deux hommes. « On aime travailler ensemble sur des événements, déclare Michel Benet. Je lui accorde une confiance aveugle car il est appliqué et sérieux. J’aime ce qu’il dégage auprès des autres. »
“Je lui accorde une confiance aveugle car il est appliqué et sérieux. J’aime ce qu’il dégage auprès des autres.”
Derrière leur entrain et bonne humeur se cache une sacrée dose « d’exemplarité ». Le mot est arrivé en chœur dans la conversation. Éclat de rire collectif. Les voilà qui se mettent à écumer leurs meilleurs souvenirs, lorsque durant la French Cheese Board de New York, ils se retrouvèrent à déguster ensemble une bouteille du Clos des Centenaires (AOP Costières de Nîmes) au cœur de Manhattan. Instant suspendu, plaisir partagé. Vergne-Benet, ou le parfait accord du goût de vivre.
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