« Mon sens du goût est exacerbé par mon handicap visuel »
Propos recueillis à table par Guillaume Mollaret | Photographie Thomas Heydon
Athlète de haut niveau, Violaine Harani souffre d’une déficience visuelle liée à une maladie génétique. C’est il y a un peu moins de dix ans que cette pathologie s’est révélée chez celle qui, avant le paracyclisme, pratiquait notamment l’escalade. Après seulement une année de tandem, avec une cycliste en pleine capacité de son sens visuel, elle est devenue en 2021 championne de France avant de monter sur la deuxième marche du podium les deux années suivantes. Avec sa pilote Nina Weill, il lui arrive de rouler à quelque « 70 km/h sur l’asphalte. » Parce que Violaine Harani partage avec le chef étoilé de la Table d’Uzès, Christophe Ducros, la passion du cyclisme et des routes de l’Uzège, les échanges hors interview sont vite passés du plateau de dessert au plateau de vélo !
« Chaque plat s’est présenté comme une étape avec toute la diversité et la beauté de paysages que cela comporte…«
Violaine, vous êtes aveugle, comment vous orientez-vous à vélo ?
Violaine Harani : Dans un environnement connu, nous devons apprendre nos chemins par cœur. A vélo, en compétition sur route, c’est la même chose. Je reconnais d’abord le parcours sur un plan en relief, puis en situation réelle avec ma pilote. Elle me donne des repères, tel qu’un arbre ou un rond-point au premier passage. Au second, elle me signale ces repères quelques dizaines de mètres en amont ; puis une fois effectivement arrivées à ces marqueurs. Au troisième passage, nous n’avons quasiment plus besoin de nous parler. De fait, en course, nous nous concentrons sur l’effort.
Quelle est votre relation avec votre pilote ?
Ma pilote gère notre présence à toutes les deux sur le tandem ; notre sécurité commune ; le pilotage ; et l’observation des autres coureurs autour de nous. En même temps, elle doit me communiquer ces informations, en plus de nos fréquences cardio et la puissance de nos coups de pédale afin de produire un effort synchronisé. C’est capital car si l’une de nous décide de pédaler en danseuse et que l’autre ne le fait pas… c’est la chute.
Comment se déroule votre préparation sur le plan nutritionnel ?
Je fais très attention à ce que je mange. En revanche, je ne me refuse rien et je sais me faire plaisir… comme aujourd’hui. Dans ma vie d’avant, il m’était arrivé aussi de me rendre dans un restaurant étoilé, le Skab à Nîmes. En revanche, ce n’est pas une expérience que j’avais rééditée depuis. Ce que me propose aujourd’hui Gard aux Chefs me permet de renouer avec ce plaisir de la gastronomie. C’est d’autant plus précieux que mon sens du goût est exacerbé par mon handicap visuel.
Cette exacerbation vous amène-t-elle à trouver rapidement qu’un plat est, par exemple, trop salé ou amer ?
Pas vraiment, mais je suis devenue plus sensible au sucre. De fait, je suis désormais beaucoup plus exigeante en termes de finesse. Depuis que ma maladie s’est déclarée, je détecte beaucoup mieux les saveurs et les textures.
Le service apporte les amuse-bouches.
A l’intérieur d’une porcelaine à la forme de coque d’oursin, se trouve une soupe de poisson gélifiée. Violaine Harani commente devant le chef : « C’est amusant. Cette verrine a la forme d’un coquillage. Dans le même temps, la texture de la soupe rappelle celle d’un mollusque. Si cela avait été placé dans un vrai coquillage… j’aurais pu penser qu’il s’agissait vraiment d’un coquillage ». Christophe Ducros sourit : « Je n’avais pas pensé à cela en élaborant cette recette mais en revanche, avec cette réflexion, vous m’ouvrez des perspectives pour de futurs plats. »
Dans un restaurant tel que celui-ci, le dressage a son importance. Y prêtez-vous attention ?
Le repas que nous partageons me permet d’apprécier chaque saveur car il y a autant de goût que de texture. C’est une cuisine directe et lisible. Pour l’entrée (une mousse de petit pois, soulignée par une lame de vinaigre kumquat, surplombée d’une crevette crue en 4 portions et accompagnée de demis petits pois verts marinés, ndlr), chaque cuillerée permettait d’apprécier distinctement chaque goût et chaque assemblage. En bouche, cela permet aussi de s’amuser avec ces saveurs et les structures qui les habillent. Au-delà du dressage, les couverts ont également leur importance. Ici, ils sont bien adaptés car ils offrent une bonne prise en main, tout en permettant de bien soupeser ce qui se trouve dans chaque cuillère, ou bien au bout de la fourchette
Christophe Ducros intervient : « Au-delà de l’aspect visuel, car le dressage est important, je me pose toujours la question de savoir comment le plat va être mangé car, évidemment, le goût prime. Personnellement, j’aime que le convive soit amené à apprécier en même temps l’ensemble de saveurs. »
Violaine, le repas s’achève. Comment avez-vous vécu ce moment ?
Pour filer la métaphore cycliste, c’est un Tour de France -ou plutôt un Tour du Gard au regard des spécialités servies ! Chaque plat s’est présenté comme une étape avec toute la diversité et la beauté de paysages que cela comporte… Le tout, sans effort ! Je le dis avec émotion… J’ai une privation de tellement de choses que ce repas de quelques heures m’a permis de vivre un voyage de quelques jours. Chef Ducros, merci ! •
QUESTION EN APARTE
Christophe Ducros, la plupart de vos convives disposent de leurs cinq sens. Leur cachez-vous parfois visuellement des choses ?
CD : Bien sûr ! Nous travaillons des produits d’exception. Il est important pour nous de travailler au maximum chacun d’eux sans n’en rien jeter. Par exemple, notre coffre de pigeon des Costières est accompagné d’une purée de maïs sous laquelle se trouve une fine couche de foie de pigeon. Cela relève le plat mais nous ne l’annonçons pas car certains clients sont mal à l’aise à l’idée de déguster, même en très faible quantité, des abats… Enfin jusqu’à y avoir goûté !
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