Le Goût des Autres

« La cuisine à l’huile est profondément ancrée dans ma culture »

Propos recueillis à table par Guillaume Mollaret | Photographie Jean-Claude Azria

Alexandre Arcady

Nourri d’une culture méditerranéenne de la cuisine, le réalisateur Alexandre Arcady, notamment auteur du Grand Pardon, était à Nîmes fin septembre pour présenter son nouveau film, Le Petit Blond de la Casbah. Il a fait étape à la table du chef Vincent Croizard pour évoquer le cinéma et son rapport au bien manger sur sa terre natale d’Algérie.

Avant même de commencer notre repas, vous m’avez précisé ne pas boire de vin. Peut-on savoir pourquoi ?
Il faut voir mon dernier film ! (Rires) Le Petit Blond de la Casbah raconte mon enfance, et, la vérité, c’est que mon père, qui était un ancien légionnaire, avait une descente très importante… Je crois que c’est lié à cette période de l’enfance.
Ce soir, je tremperai mes lèvres dans un verre de vin blanc (un Domaine Gassier, AOP Costières de Nîmes) mais cela s’arrêtera là. Je ne bois pas d’alcool… en tous cas très peu. Déguster le vin s’apprend sans doute, mais je n’ai pas ce goût-là.

Amuse-bouche : champignon, thé noir et poivre de Tellicherry. Commentaire : « C’est incroyable… C’est entièrement végétal mais on jurerait qu’il y a un jus de viande. Santé ! »

Pourtant dans vos films, on trinque beaucoup…
C’est vrai, mais dans le dernier, on mange davantage. Il y a dix scènes de repas. C’est un vrai casse-tête à filmer ! (Lire Gard aux Chefs #15 et l’interview de Michel Hazanavicius, ndlr). Nous étions cinq enfants à la maison et ma mère se demandait toujours « Qu’est-ce que je vais vous faire à manger ? » J’ai d’ailleurs oublié de placer cette réplique dans la bouche de Marie Gillain qui joue le rôle de ma mère dans le film. Le repas était vraiment un élément central de notre vie.

Votre mère était toute à cette tâche ?
Oui. Nous n’allions jamais au restaurant. Elle cuisinait tout le temps pour mes frères, mon père, ma grand-mère et moi… sauf le samedi, soir de shabbat, où mon père qui était d’origine hongroise préparait un « repas fromage » avec un rituel, dont je garde un souvenir ému.
Il confectionnait devant nous ce que l’on appelait un « pâté hongrois » fait de sardine à l’huile, de roquefort, de fromage Gervais, de moutarde, de paprika, et d’oignon coupé en petits morceaux. Je peux vous dire, même si vous n’avez pas l’air convaincu, que c’est un délice.

Amuse-bouche : brandade de morue retravaillée à l’encre de seiche et graines de chia, pain perdu aubergine, effiloché de veau yakitori.

De quoi vous souvenez-vous précisément ?
Nous étions donc cinq garçons. Et nous nous relayions pour différentes tâches ménagères… Débarrasser la table, faire la vaisselle. Ce que j’aimais le moins, c’était aller chercher des pains de glace pour conserver la nourriture. A l’époque, nous n’avions pas de frigo. Les pains de glace étaient vendus dans des sacs. Quand ils cognaient contre les jambes, ça faisait un mal terrible. J’échangeais volontiers avec mes frères un tour de pains de glace contre deux ou trois tours d’une autre tâche ménagère.

Carottes en étuvée aux épices Kawa, tuile à la Ricoré, laquées au soja-café, purée gourmande au beurre au cari des Indes, pickles à l’orange.

Quel film autour de la cuisine trouvez-vous particulièrement réussi ?
Si on parle de film sur la cuisine, j’appelle à revoir Vatel (chef organisateur des festins d’exceptions sous le règne de Louis XIV, ndlr) avec Depardieu. C’est un film remarquablement joué et filmé. J’ai aussi beaucoup aimé Les Saveurs du palais (librement inspiré de la vie de Danièle Mazet-Delpeuch, ancienne cuisinière de François Mitterrand alors président de la République, ndlr) avec Catherine Frot et Jean d’Ormesson.
Il y est à la fois question de cuisine et de pouvoir, et c’est tiré d’une histoire vraie… Un très joli film.

Agneau de Provence en deux cuissons au Rêve de Cochin, minestrone des légumes du couscous, pois chiche au jus de rôti au Niora, « condiment soubressade d’agneau aux épices ». Commentaire : « Quelles saveurs formidables. Il y a tout de l’orient dans cette assiette. J’ai beaucoup d’admiration pour les chefs. Ce sont de grands créatifs. »

“"...Mon père qui était d'origine hongroise préparait un "repas fromage" avec un rituel, dont je garde un souvenir ému”

Alexandre Arcady

Ce n’est pas la première fois que vous venez à Nîmes… Que connaissez-vous de la cuisine d’ici ?
Lors de ma venue pour Un Réalisateur dans la Ville en 2021, j’avais été invité par des Pieds-noirs à un méchoui. Je ne suis pas un grand fan des méchouis… Mais ! Mais, ils avaient fait cuire la semoule à l’intérieur de la bête… Je n’avais jamais mangé une semoule pareille. C’était à la fois simple, généreux et délicieux. D’une manière générale, j’aime la cuisine familiale, simple et goûteuse, que l’on a plaisir à partager en famille.

Au-delà de votre dernier film, comment intégrez-vous cette cuisine familiale dans vos créations ?
Dans Le Coup de sirocco, c’est ma mère qui a réellement préparé le couscous servi à l’écran par Marthe Villalonga à Patrick Bruel, Roger Hanin et Michel Auclair. La scène démarrait à 9 heures du matin et devait donc se finir à 17 heures. D’ordinaire, les acteurs ne mangent pas vraiment sur le plateau parce que ce n’est pas tenable physiquement sur la durée. Le problème c’est qu’à 13 heures… il n’y avait plus de couscous ! On a dû redemander à ma mère d’en refaire un en urgence pour finir de tourner la scène. C’était assez marrant.

Chocolat Taïnori au cœur de mousse café et reine-claude, sablé à l’anis.

La cuisine d’Afrique du Nord marque vos films jusque dans ses dialogues. Dans Le Grand Pardon, Jean-Louis Trintignant donne cette réplique féroce à Roger Hanin : « Je ne vous aime pas Bettoun. Vous sentez l’huile. Et j’ai l’odorat délicat. » Quel en était le sens ?
C’est la réplique la plus antisémite que j’ai écrite. C’est un cliché sur les sépharades qui mangent gras. La cuisine à l’huile est, c’est vrai, profondément ancrée dans notre culture. On en rit d’ailleurs beaucoup entre nous mais là, le commissaire Duché ne marquait aucun second degré.

“Ma mère a réellement préparé le couscous servi à l'écran dans Le coup de sirocco”

Alexandre Arcady

Menu servi
Tour d’Horizon en 4 temps : 70 euros
Restaurant Vincent Croizard
17, rue des Chassaintes à Nîmes
Ouvert le soir du mercredi au dimanche inclus
Ouvert le midi du jeudi au dimanche inclus
Tel : 04 66 67 04 99

 

 

Merci au Cinéma CGR de Nîmes pour avoir permis l’organisation de cette interview. Le Petit Blond de la Casbah est sorti le 15 novembre en salles.

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