Aux Plantiers, une châtaigneraie bien calée à l’ombre de la grande draille
Textes et photos Julien Claudel
En décrochant tout récemment l’AOP, le fruit de « l’arbre à pain » cévenol nous a donné l’envie d’aller à sa rencontre tout en nous dégourdissant les jambes. Prêts pour une balade de printemps qui côtoie les cimes du Gard ? Rendez-vous à la Bécède.
Pendant que le chêne vert se la coule douce sur l’adret, le châtaignier patiente à l’ombre sur l’ubac, les pieds dans l’humus. En Cévennes, à chacun sa pente et son exposition. Au loin, serres et valats moutonnent à perte de vue. Voici, au cœur du parc national, une balade nommée « La Palombe », l’occasion d’une immersion magistrale dans l’histoire cévenole, la vraie. Celle du refuge et du désert, celle de l’autarcie qui permit autrefois de fixer et de nourrir des populations nombreuses, où chaque parcelle, chaque espace étaient cultivés. Celle du pastoralisme aussi, car nous voilà bientôt à cheminer le long de la grande draille de Margeride, un témoignage consacré par l’Unesco. Inspirez, expirez profondément, ici l’indice Atmo est de première qualité.
Le châtaignier est l’un des clous du spectacle de cette échappée printanière, il n’est pas le seul. « La Palombe » fait partie de ces randonnées qui donnent au département du Gard des airs de montagne et de Corse mêlés. Passé les premières encablures tout en lacets progressifs, nous voilà rendus au mas de Bonperrier. Une première contemplation s’impose. C’est ici que faisaient halte de nombreux bergers sur la route de l’estive, disposant d’enclos herbagés aux allures de pelouses subalpines. Posée sur une crête qui sépare la vallée des Gardons de celle de l’Hérault, la maison aujourd’hui rongée par le temps abrita même une auberge, où les facteurs des deux versants aimaient à se rejoindre pour deviser et se désaltérer sur leur tournée.
Commence alors le magnifique chemin de transhumance qui va nous conduire jusqu’au col de l’Homme mort (895 m). Vue dégagée, très dégagée même : de l’Aigoual qui se dresse bientôt à l’ouest au-dessus de Bonperrier, jusqu’au Ventoux à l’est, on toise le Mont Lozère au nord et, par beau temps, les pré-Alpes du Sud. Bientôt, un poteau nous indique de tourner à gauche vers la Bécède, il faut alors avoir le pied caprin pour s’enfoncer en cascade dans la belle forêt de châtaigniers. Belle, du moins dans l’oeil du promeneur, car comme dans beaucoup d’endroits en Cévennes, après des siècles d’une culture florissante et vivrière, l’abandon a gagné les plantations tandis que l’écobuage (la technique de brûlis sélectif pour reverdir les pentes) grignote souvent les vieux troncs.
« D’une manière générale, ce sont plutôt dans les Cévennes lozériennes, et notamment la Vallée française, que les forêts ont été le mieux entretenues, confie Sylvain Teissonnière, castanéiculteur aux Plantiers. Ici, il faut un patient travail de sélection et de restauration pour ressusciter les plantations. Certains agriculteurs me prennent d’ailleurs pour un fou tant la tâche est immense ! » La conquête de l’AOC « châtaigne des Cévennes », obtenue en janvier dernier, devrait redonner de l’élan à la filière, les producteurs pouvant notamment prétendre à des subventions pour l’élagage et le greffage de l’arbre à pain.
“Willy Victor, 90 ans, continue de sortir chaque jour comme il le fait depuis qu’il en a douze son troupeau de brebis”
La balade se poursuit au hameau de la Bécède, qu’on avait déjà aperçu de loin en hauteur. Vivent là cinq foyers comme au milieu de nulle part et, si vous prenez le temps, le plus ancien habitant qui vous accueillera pour un brin de conversation. Willy Victor, 90 ans, continue de sortir chaque jour comme il le fait depuis qu’il en a douze son troupeau de brebis, désormais avec l’aide de son fils. Né ici, il n’est parti que « lors de la guerre d’Algérie, j’ai été mobilisé au Maroc où j’ai eu parfois peur de ne jamais revenir ! ». Lui aussi a connu la culture de la châtaigne, aussi bien pour une partie de la subsistance familiale que le nourrissage des bêtes. Autrefois rien n’était perdu et les châtaignes de réforme comme les branchages de feuilles constituaient un mets de choix pour les brebis.
On quitte Willy et juste avant de retrouver la voiture, on se dit qu’il s’est passé quelque chose depuis notre départ : cette impression magique d’avoir troqué le train-train quotidien contre un moment suspendu et de s’en être mis plein les yeux.
La châtaigne en chiffres
Reconnue en appellation d’origine protégée (AOP), c’est-à-dire au niveau européen, le 16 janvier dernier, la « châtaigne des Cévennes » concerne plus de 200 communes : 83 dans le Gard, 80 dans l’Hérault, 39 en Lozère et une dans le Tarn. La production, très disséminée et de type familial, est estimée à 120 tonnes par an. Cela paraît peu mais s’explique par le fait que tous les producteurs ne sont pas affiliés. L’ AOP consacre la châtaigne fraîche, séchée ou en farine.
Sentier la Palombe : 7,8 km, dénivelé 288 m, 3 heures. Accès : direction Saint-Jean-du-Gard puis l’Estréchure, Saumane et les Plantiers. Au village, filer vers le col de l’Asclier (direction Sumène). À 1 km, prendre à droite vers le Mas Lautal et la Bécède. Se garer juste avant le hameau devant le panneau DFCI. La balade commence, il ne manque plus qu’à suivre les traits jaunes figurant sur les pierres et les arbres.
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