Chenet* et Hermet : sous les différences, la passion du travail bien fait
par Julien Claudel | Photographie Jean-Claude Azria
Le jeune chef étoilé de Pujaut et le sommelier le plus connu du Gard ne jouent pas dans la même cour gastronomique : restauration haut de gamme pour l’un, brasserie populaire pour l’autre. Mais tous deux se retrouvent dans l’exigence commune d’une cuisine sincère, engagée et fidèle à la filiation qu’ils ont choisie.
Mon premier, Entre Vigne et Garrigue, tout près d’Avignon, capte depuis une quinzaine d’années la lumière dans l’ombre de son père, Serge Chenet, au fil d’un dialogue réciproque harmonieux, nourricier et fécond. « On n’a plus le choix, sourit Maxime, on s’entend bien, définitivement ! » « C’est rare de voir un passage de relais aussi paisible, souvent dans les grands restaurants il y a des tensions en famille », confirme Laurent Tabuce, le chef qui officie depuis sept ans au Wine Bar Le Cheval Blanc à Nîmes, sous l’autorité de Michel Hermet. Ce dernier, grand sommelier français en plus d’être un entrepreneur opiniâtre, est devenu un emblème nîmois aussi connu que le crocodile : quarante ans qu’il sévit dans la restauration, d’abord aux commandes du San Francisco steak house, rue Roussy, où « mon premier client fut Claude Nougaro, au cours d’une soirée mémorable qui s’est terminée bien tard dans la nuit », puis vingt ans de plus au Wine Bar du square de la Couronne. Il créera enfin le Wine Bar Le Cheval Blanc de la place des Arènes, la célèbre enseigne qu’il rachète en 2006, juste en face à la statue du torero Nimeño II.
Ils sont très différents, Maxime et Michel. La toque blanche impeccable pour le premier, dont les fenêtres du restaurant ouvrent sur un magnifique panorama de lavandes, de vignes et de vergers où venaient autrefois cultiver et se nourrir les chartreux de Villeneuve-lès-Avignon. Le costard cravate de rigueur pour le second, vrai profil de dandy anachronique et charmeur qui rappelle l’élégance de ces garçons de café dont les brasseries parisiennes furent et restent le creuset.
Différents et pourtant très proches, Chenet et Hermet. Entre la gastronomie étoilée du restaurant de Pujaut et le temple du pied-de-cochon de Nîmes, les connexions sont plus nombreuses qu’on l’imagine. « Comme disait Bocuse, « classique ou moderne, il n’y a qu’une seule cuisine : la bonne » », dit le sommelier qui reconnaît « une gestion de maison très différente, mais avec ce tronc commun de vouloir faire plaisir aux convives en respectant la tradition de la restauration choisie ». Maxime Chenet ne le dément pas, lui qui pratique « une cuisine bien identifiée où il faut que tu voies ce que tu manges, sans entrer dans un story-telling pompeux qui n’est de toute façon pas mon truc ».
“Comme disait Bocuse, « classique ou moderne, il n’y a qu’une seule cuisine : la bonne”
Le goût des bons produits rassemble les deux hommes qui se fournissent localement aux mêmes étals. L’art culinaire fait le reste, et quand Maxime rehausse une tête de veau d’une paire de crustacés, flattée d’une sauce à l’estragon, Michel la sert comme à Paris et partout en France, avec ses légumes vapeur et la fameuse sauce gribiche faite de cornichons, de câpres, d’œuf et de moutarde.
La cave des vins d’Entre Vigne et Garrigue est un exemple de savoir-faire, selon Michel Hermet. « Bien des restaurants pourraient s’en inspirer. La pièce voûtée, climatisée, faiblement éclairée, ventilée et maintenue au bon niveau d’hygrométrie permet de faire patienter les meilleures cuvées. » De quoi proposer des accords parfaits entre mets et vins, dont il est l’un des grands spécialistes. « Le vin, c’est de la géographie, un livre ouvert sur la culture et les territoires. On découvre les cours d’eau qui bordent les vignobles, on voyage dans l’histoire : savez-vous par exemple que le Clos de Vougeot remonte à très loin, jusqu’aux moines de Citeaux ? » « Pour moi, le sommelier c’est un ambassadeur des territoires, poursuit Maxime, un savant doté de capacités olfactives supérieures. Michel est un homme de tradition et de passion comme on n’en fait plus. »
“... Je veux faire passer un bon moment dans mon restaurant, pas une expérience !”
Tous deux militent pour garder, chacun dans son genre, « ce qui fait l’ADN de la cuisine française, c’est-à-dire des bases solides où l’extrapolation a sa place mais ne doit jamais dominer ». Ce que résume Maxime par cette phrase : « Moi, je veux faire passer un bon moment dans mon restaurant, pas une expérience ! » Michel Hermet lui emboîte le pas : « La brasserie, c’est un genre bien précis : un lieu de vie, d’échanges et de conversations, où le sommelier tient le rôle principal en salle et veille à faire passer de beaux moments ». Et où le steak tartare, le foie de veau et la paire de poissons nobles du jour n’ont pas fini de rester la règle.
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