Les vignes du facteur : itinéraire d’un artisan-vigneron

Par Nicolas PONZO | Photographies Thomas HEYDON

Destiné à devenir ingénieur agronome, Serge Scherrer voit son destin bifurquer brutalement : le décès de son père l’oblige à interrompre sa prestigieuse formation. Par nécessité, il entre dans la vie active. Recruté pour un intérim à La Poste, il y restera 35 ans, en Alsace, à Paris, puis à Uzès, où il est muté en 2004, attiré par la lumière et le calcaire.
En 2007, alors qu’il rêve d’avoir des vignes, il apprend qu’une parcelle de 87 ares, proche de chez lui, est promise à l’arrachage. Il la rachète immédiatement. Une double vie commence : facteur au lever du jour, vigneron jusqu’au crépuscule. Dès le départ, il choisit la voie du bio, du sol vivant. Au fil des années, il acquiert quelques parcelles supplémentaires, replante, expérimente. Fidèle à son esprit alsacien, il s’acharne à trouver le matériel végétal le mieux adapté à ses terroirs. Lui qui a grandi dans le culte du monocépage découvre ici la Méditerranée comme un immense brassage.

Nombreuses mais d’un volume confidentiel, ses cuvées creusent avec tranchant le sillon d’une tension assez rare dans nos contrées. La plupart sont issues du terroir siliceux de Vallabrix, qui cisèle leur trame minérale, si distinctive sur ses blancs.

Son vin, Serge le vend sans plan marketing, porté par le bouche-à-oreille et l’attachement qu’il suscite. Bien des clients l’ont d’abord découvert sur son vélo jaune, avant qu’il ne se dévoile dans leur verre de rouge. Cette légende postale lui vaut une affection locale rare, renforcée par des étiquettes conçues par des artistes rencontrés sur sa tournée, comme le célèbre illustrateur Antony Pastor.

Tout aurait pu basculer en 2015, lorsqu’un brasier voisin réduit son travail en fumée. Son chai n’est plus qu’un amas de cendres et de fer tordu. Au bord du gouffre, il se relève grâce à la solidarité vigneronne. De cette épreuve naît une cuvée manifeste : L’Équilibriste, sur le fil entre disparition et résilience.

Ancien facteur, Serge Scherrer reste passeur. Mais désormais, ses messages voyagent sans missive.

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