Le Goût des Autres

Sergi López : « Les grands plats suscitent les échanges »

Propos recueillis à table par Guillaume Mollaret | Photographie Jean-Claude Azria

Le comédien, César du meilleur acteur en 2001 pour son rôle dans Harry, un ami qui vous veut du bien, était présent au Festival Itinérances d’Alès, l’occasion de partager un repas au Saint-Hilaire, restaurant étoilé, chez Sébastien et Gwladys Rath, à l’heure où les premières asperges annoncent le printemps.

Gard aux Chefs : Vous parlez le Catalan, le Castillan et le Français, mais de quelle cuisine vous sentez-vous le plus proche ?

Sergi López : Je ne connais pas assez bien la cuisine française pour la préparer moi-même.
Je suis donc définitivement plus proche de la cuisine catalane au même titre que je me sens Catalan au sens large (Sergi
López soutient l’indépendance de la Catalogne, ndlr). A titre personnel, j’aime cuisiner une viande de cabri au four à laquelle j’ajoute de la tomate, des poivrons, des oignons, de l’ail et de l’huile d’olive. On peut aussi l’agrémenter de vermouth ou d’un autre vin cuit. Ce n’est pas très compliqué mais c’est une cuisine familiale et généreuse à partager. L’autre plat que j’aime bien préparer, c’est la Calçot. Il s’agit d’oignons (qui ressemblent à des cébettes, ndlr) grillés au barbecue. Ils sont mangés en apéritif.

Il y a une douzaine d’années, vous avez donné, au théâtre, une leçon de cuisine de l’aïoli à des spectateurs… Ce n’est pas très commun comme projet artistique, qui plus est venant d’un comédien qui n’est pas cuisinier.

La France développe une approche unique de la culture. Et cette initiative en est un reflet. La culture est ici appréhendée comme un objet très ouvert et hors des sentiers battus. Cette masterclass s’est déroulée à la scène nationale de Montbéliard (Doubs). Au théâtre, je joue des créations. On m’a proposé là-bas une carte blanche. Je devais donner un cours de théâtre. Je ne me sens pas à l’aise avec cette idée. Aussi, j’ai proposé aux spectateurs de cuisiner un aïoli populaire. Attention, ce n’était pas un aïoli comme ici en France. Chez vous, c’est un plat. Chez nous, c’est une sauce ; un mélange d’ail et d’huile d’olive. Elle se prépare dans un mortier avec deux gousses d’ail que l’on pile au point de les rendre presque liquides. On y ajoute ensuite l’huile par un filet continu très fin. Le tout se lie de façon délicate mais nécessite trente minutes de mouvement constant. Cela donne une forme de pâte que l’on mélange avec du poulpe et des pommes de terre à la cuisson. En se liant à l’eau du poulpe, la préparation donne une sauce liquide… C’est très difficile à faire ! Cinquante personnes ont participé à cette masterclass. Deux personnes ont réussi à réaliser la recette… et je n’en fais pas partie ! Vous êtes également auteur.

Le thème de la nourriture vous inspire-t-il ?

Je suis justement en train de coécrire un scénario, pour la première fois destiné à un film, où la nourriture tient une place très importante. Plus que la nourriture, c’est d’un plat appelé bull de tonyina dont il s’agit. Il est typique de ma ville de Vilanova i la Geltrú, en Catalogne.À base de tripes de thon préparées avec des escargots, des pommes de terre, des haricots blancs et un hachis d’ail, d’amandes et de piments doux séchés… On aime ou on déteste mais je crois que vous avez compris de quel côté je me situe. C’est très bon et surtout… très léger (rires). C’est un plat de pêcheur, un plat d’hiver, comme vous pourrez j’espère le voir dans ce prochain film.

Dans un Harry, un ami qui vous veut du bien, votre personnage a développé le rituel de manger un œuf cru. Quel est votre rapport à la nourriture ?

Dans Harry, ce rituel a été perçu à l’écran comme quelque chose d’un peu flippant… mais en fait, pour le réalisateur Dominique Moll et moi-même, c’était plutôt quelque chose de décalé et comique. Me concernant, même s’il m’arrive de venir de temps en temps dans des restaurants gastronomiques, je suis plus gourmand que gourmet. J’ai un lien émotionnel avec la nourriture. Manger me comble et me calme. C’est un rapport physique. Je me souviens notamment d’un restaurant sans prétention qui se trouvait proche de chez moi où j’ai mangé pour la première fois du chili con carne. Je n’ai jamais pensé que ce plat pouvait être remarquable. Était-ce parce que j’y mangeais seul ? Était-ce le moment ? J’ai été débordé par l’émotion. J’en ai pleuré… J’ai hésité ensuite à y retourner. Par ailleurs, j’adore la viande. Ce n’est pas très sain mais je l’aime aussi en quantité… Aussi, j’ai ce défaut de regarder l’assiette d’à côté pour voir si la pièce de mon voisin est de plus grande taille. Si vous me demandez de choisir un morceau, je choisirai toujours le plus gros.

“En France, la culture est appréhendée comme un objet très ouvert et hors des sentiers battus.”

Question classique pour un comédien interviewé dans Gard aux Chefs. Quel est votre film préféré évoquant la nourriture ?

Le film, le plus énorme dans tous les sens du terme, c’est La Grande Bouffe (Marco Ferreri, 1973). Il y a ce lien émotionnel avec la nourriture que j’évoquais tout à l’heure. Ça va loin, jusqu’à la mort… C’est un film incroyable sur ce plan.

Que retenez-vous de ce repas ?

Plus qu’un plat en particulier… Je retiens les discussions. Sans nous connaître, nous avons parlé de nourriture et de plats pendant plus de deux heures, et sans voir le temps passer. Le service de chaque plat a suscité les échanges.

Le Saint Hilaire by Sébastien Rath*
 Restaurant étoilé à Saint-Hilaire de Brethmas, à 5 minutes d’Alès.
Chef Sébastien Rath*
Ouvert du jeudi au dimanche, midi et soir.

Menu en 5 et 8 mouvements à 85€ et 145€.

Menu servi ce jour-là :
Moule / Cervelle d’agneau-échalion, oignons, radis.
Ile flottante revisitée pastis cacahuète.
Duo d’asperges, Topinambour en 4 façons servi en son volcan
Muge, endive
Pomme, réglisse des bois
Chocolat noisette / Citron basilic / Fleur d’oranger kiwi

“Je suis justement en train de coécrire un scénario, pour la première fois destiné à un film, ou la cuisine tient une place très importante. ”

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