Duo de Chefs

Chenet* – Hervé : Aux racines du partage

par Guillaume Mollaret | Photographie Jean-Claude Azria

Silence, on cuisine. Quand Matthieu Hervé, toque blanche du Château de Montcaud, et Serge Chenet, le MOF étoilé d’Entre Vigne et Garrigue, se placent derrière leur piano, chacun connaît suffisamment sa partition pour ne pas avoir à en rajouter. C’est bien simple, lorsque les deux chefs sont à l’œuvre, même les tranches de foie gras jetées dans la poêle chaude se mettent en sourdine. « Quand on se met au travail, il n’y a pas besoin de causer. L’information se partage en amont du service. Chacun sait son rôle et ce qu’il a à faire », justifie Serge Chenet dont le calme s’exprime également au travers de ses peintures, lesquelles ornent, pour certaines, les murs de son restaurant.

Au Château de Montcaud comme à Entre Vigne et Garrigue, on est loin des coups de sang piqués lors des coups de feu, ce cliché populaire destiné à dramatiser certaines émissions culinaires télévisées. Ainsi, la sérénité des deux chefs gardois transpire jusque dans leurs plats au dressage harmonieux et généreux. « J’ai pris et entendu des soufflantes en cuisine, mais ce n’est pas ma personnalité et je ne suis pas sûr que cela fasse mieux avancer. Instaurer le silence, c’est aussi un moyen de rester concentré sur notre objectif commun de présenter une bonne assiette au client », répond Matthieu Hervé, qui de toute façon n’est pas très bavard. En juillet 2018, pour sa grande première en tant que chef de Montcaud, en accord avec son propriétaire suisse Jürg Witmer, a invité d’autres grands tabliers de la région pour leur faire (re)découvrir un château fermé depuis cinq ans suite au décès de l’ancien châtelain, helvète lui aussi, Rudi Baur. Serge Chenet était de cette fête. « Ce n’est pas tous les jours qu’un chef qui s’installe vous invite. Ça dénote une ouverture d’esprit. Celle que nous prônons au sein de Gard aux Chefs », salue le président de l’association qui a tout de suite proposé à Matthieu Hervé, 34 ans, de rejoindre la brigade gardoise.

“Ce n’est pas tous les jours qu’un chef qui s’installe vous invite.”

« Au printemps 2020, la fermeture que nous a imposé le confinement nous a tous amenés à nous recentrer sur nous-mêmes. Aussi, je n’ai pas encore eu l’occasion de m’investir dans l’association. Je suis touché que les chefs du département m’aient si rapidement proposé de partager la lumière avec eux », poursuit le jeune homme qui, après avoir servi dans les cuisines du palace niçois le Negresco sous la direction du MOF Jean-Denis Rieubland, puis de Daniel Boulud** à NewYork, aiguise à Montcaud ses premiers couteaux de chef. Installé à moins de 40 kilomètres, Serge Chenet voit d’un bon œil le renouvellement de génération incarné par Matthieu et les autres jeunes pousses du département. « Il n’y a pas de concurrence entre nous. Nous avons plus ou moins les mêmes fournisseurs. Quant à la clientèle, ça se fidélise », évacue Serge Chenet dont la carrière s’est aussi construite sur le partage d’expériences.

« À mon époque, on ne poussait pas comme ça la porte de la cuisine d’un étoilé ou d’un Meilleur Ouvrier de France. Je n’ai jamais travaillé à plein temps sous la direction d’un grand chef. En revanche, j’ai, plus jeune, pris sur mes vacances pour me former chez Joël Rebuchon***, Paul Bocuse*** et Pierre Troisgrois*** », détaille celui qui, MOF depuis 1993, s’applique à conseiller la jeune génération également représentée par son fils et complice, Maxime. De fait, ils sont nombreux les jeunes étoilés à être passés par la cuisine du chef Chenet. À la volée, Kei Kobayashi***, premier chef japonais triplement étoilé en France, Keisuke Matsushima qui obtint une étoile, Christophe Roure, MOF en 2007, ou encore Nicolas Isnard* ont effectué des passages, plus ou longs, auprès du chef gardois.

“J’aime bien comprendre ce que j’ai dans l’assiette.”

« Attention, prévient ce dernier, ils sont aussi passés chez d’autres mais j’espère leur avoir appris deux ou trois trucs… » Côté technique, Serge et Matthieu revendiquent une forme de conservatisme mâtiné de modernité. « Il n’y a pas cinquante façons de cuire un pigeon. Bien sûr, chacun a son tour de main mais sans le respect de certaines bases, ça ne peut pas fonctionner », pose Matthieu Hervé qui garde de sa Normandie natale un tropisme assumé pour la cuisine au beurre. « Quand on me propose un plat, j’aime bien comprendre ce que j’ai dans l’assiette. Je respecte ceux qui font autrement mais le moléculaire, ce n’est pas pour moi », tranche-t-il. Chez le chef Hervé comme chez le chef Chenet, la technicité, pourtant bien présente, s’efface derrière le produit. En salle ou à l’accueil, Maryse Chenet et Fanny Rapp-Hervé veillent également au juste équilibre de leurs maisons respectives. La cuisine se partage aussi en famille.

CHÂTEAU DE MONTCAUD
Hameau de Combes 30200 Sabran
Tél. : 04 66 33 20 15
Ouvert du mercredi midi au dimanche soir
chateaudemontcaud.com

ENTRE VIGNE ET GARRIGUE
Mas Saint-Bruno
600, route de Saint-Bruno 30131 Pujaut
Ouvert du mardi midi au dimanche midi
vigne-et-garrigue.com

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