Duo de Chefs

Michel Kayser, une sensibilité à fleur d’assiette

Par Guillaume Mollaret | Photographie Jean-claude Azria 

 

Délicatement posée à la pince sur une lamelle de navet surplombant un fin morceau d’agneau, la blanche fleur de pois chiche nous ramène au pré. Accompagnées d’une sauce légèrement corsée, deux autres pièces se présentent à découvert tandis qu’une quatrième, légère, est enveloppée dans un cocon : une chapelure de pois-chiche. Tendrissime, la dégustation invite au silence. Il y a dans cette assiette beaucoup de travail et un immense respect envers l’animal sacrifié pour nos papilles. « Nous n’avons pas besoin de manger de viande tous les jours, ni en grande quantité. Alors, quand on se rend au restaurant, il faut que ce soit délicieux. Cette exigence, on la doit à l’animal ; au producteur qui a fourni les efforts pour livrer un produit de qualité ; et au client bien sûr qui vient chez nous dans l’attente d’une expérience que l’on souhaite exceptionnelle« , pose Michel Kayser.

Installé derrière les fourneaux de son établissement depuis 40 ans, le chef affiche, avec constance depuis 2007, deux étoiles au Guide Michelin. Compositeur et chef d’orchestre, le maestro s’installe tous les jours derrière son piano de cuisine pour répéter une partition alliant technique et esthétique dont il propose une réinterprétation à chaque tour de calendrier. « Nous travaillons avec des produits locaux et de saison. Forcément, on retrouve souvent les mêmes ingrédients. Nous nous attelons donc à réaliser des évolutions. » Nous avons essayé plusieurs façons de cuisiner le radis avant de trouver la formule juste. Une fois que l’on tient la bonne recette, nous la faisons évoluer parce qu’il est important de se réinventer « , détaille Michel Kayser.

Magali Saumade,

Éleveuse de taureaux, 

Présidente de la Chambre d’agriculture du Gard

 » Michel Kayser est un chef engagé depuis très longtemps auprès des producteurs locaux. Il a été le premier grand chef à accompagner la création de l’AOP taureau de Camargue dans son restaurant et nous sommes tous fiers de pouvoir compter sur un tel soutien. Qu’il soit question de viande, de poisson, fruits ou légumes. Son établissement constitue un écrin qui magnifie nos productions. »

“"Quand les producteurs sont excellents, c'est tout le territoire qui rayonne."”

Dans cette cuisine, comme dans la nature, rien ne se perd et tout se transforme. Les fanes de radis deviennent du beurre, et la racine, proposée crue une année, se présente l’année suivante sous forme de sorbet. Déroutant !

Ces essais, car même chez les meilleurs le premier test n’est pas toujours celui finalement retenu, Michel Kayser les réalise généralement en fin de semaine le samedi ou le dimanche matin avec Arnaud Bresteau, son chef exécutif depuis plusieurs années. « C’est un moment où l’on prend le temps d’échanger sur les recettes et de confronter nos idées« , confie ce lieutenant fidèle ; premier violon chargé d’assurer la juste restitution d’une cuisine tout autant attachée au terroir et aux circuits courts, que marquée du sceau de l’audace.

« À Noël 1992, mon épouse Monique, sans qui rien de tout ce que l’on fait ne serait possible, m’a offert un livre de Michel Bras (à l’époque chef triplement étoilé installé à Laguiole en Aveyron, ndlr). Il y expliquait notamment le mariage du rouget avec de la poudre d’orange… C’est évident que ce mariage des saveurs va fonctionner. Mais à l’époque, penser une recette ainsi, c’était comme proposer du Mozart à la guitare électrique. Cela m’a bousculé « , se souvient Michel Kayser, encore ému.

Christian Rougier,

Président de l’Unapei 30

 » Cela fait quatre ans maintenant que Michel Kayser accueille le dîner de gala de l’Unapei 30. Cette opération nous permet de récolter chaque année des fonds importants au bénéfice de l’association qui accompagne 1000 personnes vivant avec un handicap dans le département du Gard. Ce repas est aussi pour nous l’occasion de mettre en relation nos partenaires afin qu’ils fassent mieux connaissance. Michel Kayser n’a jamais hésité à nous soutenir. Il le fait avec beaucoup de générosité. Nous lui sommes très reconnaissants d’offrir, le temps d’une soirée, sa notoriété à notre association. »

En ce mercredi matin, premier jour de la semaine pour le restaurant, la cuisine devient ruche. Depuis 8 heures, la brigade s’affaire à préparer les fonds de sauces pour le service du midi et les jours à venir. Au préalable, il a fallu mettre au frais toutes les marchandises livrées un peu plus tôt par les agriculteurs partenaires du restaurant. Un commis écaille les rougets. Les filets sont levés pour le plat. La peau sera frite. Parfumée au safran du jardin aux herbes situé juste derrière la cuisine, elle accompagnera la soupe de poisson confectionnée avec les arrêtes. Encore une fois, rien ne se perd !

Pendant que l’équipe s’affaire en cuisine, Michel Kayser lui s’inquiète de la régularité et la qualité des produits travaillés, il rend visite régulièrement à ses divers producteurs de coquillages, poissons, pigeons afin de s’assurer de la manière dont ils sont produits.

A 9h40, direction la Chambre d’agriculture, où l’attend, avec deux techniciens, la vice-présidente Delphine Fernandez, viticultrice et productrice d’huiles essentielles. C’est sur l’autoroute, lors des manifestations agricoles de cet hiver, qu’elle a fait la connaissance du chef. Avec le Meilleur Ouvrier de France Jérôme Nutile, Michel Kayser était venu soutenir le mouvement en préparant un barbecue pour les producteurs mobilisés pour une plus juste rémunération de leur travail.

Cette fois, c’est le chef qui vient demander de l’aide. « On a besoin de produits exceptionnels. Je comprends qu’un producteur doit réaliser du volume et qu’il ne peut pas produire seulement pour moi. Mais il y a onze restaurants étoilés dans le département et une myriade de cuisiniers qui n’ont pas d’étoiles mais qui recherchent des produits d’exception. Nous sommes vos ambassadeurs ! Quand les producteurs sont excellents, c’est tout le territoire qui rayonne. Entre chefs, les choses se savent. Les pigeons de la famille Baeza, à Manduel, ils sont notamment servis chez moi, mais ils sont aussi sur la table 3 étoiles d’Arnaud Donckele à Saint Tropez !« , s’emporte le chef avant de se reprendre avec le sourire : « J’ai l’air de m’énerver quand je m’explique alors que c’est juste de la passion.«  Au regard du niveau d’exigence auquel Michel Kayser place le respect du produit que lui livrent les producteurs, ses interlocuteurs l’ont bien compris. Ils vont tenter la mise en relation entre chefs et agriculteurs. D’une initiative personnelle peut ressortir un résultat positif pour tous.

Il est 11h30. La brigade est de retour aux fourneaux après avoir déjeuné. Tout est prêt. Le chef dispose d’une quinzaine de minutes à peine pour un en-cas/réunion avec son épouse Monique Kayser et Françoise Mirebeau, la directrice de l’établissement Relais & Châteaux.

Il est midi pile. Les premiers clients arrivent. Silence en cuisine où chacun pourtant s’échine. À sa place, chacun joue sa partition. Peu de mots sont échangés. Parfois on surprend un « Oui, chef !«  Michel Kayser a le sourire. En regardant son équipe, le cuisinier âgé de 68 ans en paraît vingt de moins. « Ça avance tout seul, c’est un plaisir de les voir. Regardez-les travailler. C’est beau non ?«  Sur le passe-plat, Michel Kayser fignole un dressage. Le menu avance. Dans les verres, un Domaine Coudoulis rouge (AOP Lirac) succède au Château de Nages blanc (Costières de Nîmes).

“"Je vous conseille de vous habituer au goût iodé de l'huître en débutant par la crème glacée puis de revenir progressivement dans les terres avec les légumes et le taureau."”

Jérôme Nutile,

Chef étoilé,
Meilleur
Ouvrier de France

 » C’est un homme de cœur. Un homme généreux. Au premier regard, il peut laisser une impression de froideur, mais c’est faux. C’est un homme du Nord ! (Rires) En cuisine, sa réussite est extraordinaire. Il est un poumon de notre association Gard aux Chefs. Il développe une bienveillance que l’on retrouve évidemment dans ses assiettes. A titre personnel, il m’avait beaucoup aidé à préparer le concours de MOF. Je lui en suis très reconnaissant. »

Serge Chenet,
Chef étoilé Maison Chenet,
Meilleur Ouvrier de France,
Président de Gard aux Chefs

 

 

 » C’est notre mentor ! Deux étoiles au Michelin depuis 2007 et Relais & Châteaux… Son restaurant est une vitrine pour notre département. Par sa rigueur et son exigence, il pousse tout le monde au maximum de ses capacités. Sur le plan humain, c’est un homme vif et élégant. C’est aussi un grand sensible. Comme tous les cuisiniers, il se remet en question à chaque service. L’exigence qu’il impose à ses collaborateurs, il se l’impose à lui-même. Il a auprès de lui une équipe fidèle, je pense notamment à son chef exécutif et son sommelier. La réussite de Michel, c’est aussi la réussite de son épouse Monique. Ce qu’ils ont accompli ensemble, c’est fantastique. »

“"C'était comme proposer du Mozart à la guitare électrique."”

En cette veille de Pâques sont arrivées les dernières truffes de la saison.

Elles permettent de proposer un plat signature du chef : l’Ile flottante aux truffes de Provence, sur son velouté de cèpes des Cévennes. Généreux. S’ensuit un étonnant tartare de taureau de Camargue, glacé au raifort –Michel Kayser est né en Lorraine !- et légèrement truffé. Pour l’accompagner, on a disposé une pointe de salicorne –une plante grasse du littoral- et imaginé une crème glacée à l’huître de la baie de Carteau, à l’embouchure du Rhône. Le tout est complété par une chips de riz de Camargue agrémentée de quelques légumes marinés. Le serveur avise : « Je vous conseille de vous habituer au goût iodé de l’huître en débutant par la crème glacée puis de revenir progressivement dans les terres avec les légumes et le taureau.«  Vive, l’huitre vient rapidement délurer le taureau emprisonné dans son raifort. L’animal aime trop sa liberté. Ave Kayser !

“"Il y a onze restaurants étoilés dans le département et une myriade de cuisiniers qui n'ont pas d'étoiles mais qui recherchent des produits d'exception."”

Sébastien Rath, 

Chef étoilé Le Saint Hilaire

« Pour moi, Michel Kayser est un exemple vivant de ce que représente tant la valeur humaine que la valeur culinaire. C’est un homme vrai et inspirant. Sa sensibilité me touche au quotidien. J’espère épouser le même chemin que Michel et Monique Kayser ont emprunté jusqu’à aujourd’hui… Ils continuent de tracer une route sur laquelle je tâche de prendre exemple. »

 

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